17 portos

Quel Gâchis ! Hier mon ami Bernard a commandé 17 portos que nous avons descendus à la suite, dans une espèce de fièvre et à un rythme effréné. Nous avions déjà englouti plusieurs demis dans un autre bar auparavant, et là nous étions trois, parce qu’une femme légère, manifestement en quête d’un pigeon, avait accosté mon comparse qui s’était montré trop empressé à l’idée de pouvoir ainsi se montrer galant au beau milieu de l’après-midi. A-t-elle cru être à même de le plumer, ou de pouvoir en tirer autre chose que l’expression de son délire d’assoiffé ? Je l’ignore encore, mais l’aventure allait, si je puis dire, lui laisser un goût pour le moins amer.

Chaque tournée a donc été immédiatement suivie d’une suivante. Et ceci DIX-SEPT fois ! Une véritable joute. Il n’y avait rien à faire, le bateau tanguait et il fallait s’accrocher. Il y eut bien une sorte de pause à un certain moment, et je me retrouvais seul avec la demoiselle brésilienne, pendant que Bernard se soulageait aux cabinets.

Mais dès qu’il revint, il avala cul sec la fin de son verre et celui, plein, que le barman avait déjà servi. Il hurlait déjà comme un démoniaque : « encore une tournée ! », avant de fondre comme un rapace ivre, bec en avant et regard halluciné, sur celle qui ne semblait plus vraiment comprendre l’exacte teneur de la situation et qui paraissait de plus en plus innocente et malheureuse de se trouver là.

Je ne sais à quel moment elle s’en fut, mais nous sortîmes peu après sans elle, titubant dangereusement et heureusement à court d’argent. Vacillant, il me prit par le bras, l’air si complice et goguenard que je me sentis vraiment gêné et honteux quand il me déclara, péniblement et avec encore un peu de morve au coin des lèvres :

« Tu comprends, je suis allé vomir aux toilettes, mais j’ai pissé dans mon pantalon, et quand je suis revenu, j’avais oublié de me rincer, alors c’est pour ça que je l’ai embrassée. Tu crois qu’elle s’est vexée ? »