Amsterdam orchestra

Il aura suffi que j’essaie d’engager la conversation pour que mon univers semble basculer. Ou le sien, mais ça je ne le saurai jamais. Je rentrais d’Amsterdam en train, c’était le plein été. La fenêtre ouverte, j’écoutais la musique provenant du compartiment d’à côté, que je trouvais sacrément bonne, même que j’étais sûr de la connaître sans arriver pourtant à la reconnaître. Un jeune gars comme moi, ou plus jeune encore, est entré dans le compartiment que j’occupais seul, et s’est installé, après m’avoir vaguement salué en hochant la tête.

Je lui demande comme ça, après une bonne demi-heure de présence sans paroles, si lui aussi est emballé par cette musique.
-« Quelle musique ? »
-« Ben, ce qu’ils écoutent à côté », je fais, en pointant le menton vers la cloison derrière lui.
Il me regarde d’un drôle d’air, mais ne me répond pas. Je ne m’en fais pas, il y a des gens étranges qui vont à Amsterdam, et plus étranges encore qui en reviennent.…

Mais la musique est si prenante qu’elle semble en effet adoucir les humeurs. Je m’y absorbe alors avec un bonheur total. La paroi du compartiment doit faire office de caisse de résonance, ou alors ils écoutent ça à fond, pour que j’entende et puisse discerner aussi bien chaque nuance, chaque note électrique du solo aérien, pour que résonne avec autant de puissance la basse vrombissante couplée à la grosse-caisse, aussi lourde que si l’on avait frappé des troncs d’arbres entre eux. Je suis d’ailleurs stupéfait de ne pas réussir à coller un nom à ce groupe qui ne peut pas ne pas m’être familier, tant je sais deviner chaque suite d’accords avant son déroulement effectif… Et ce type, là en face, qui me snobe ou qui est tellement stone que même le rock le meilleur ne le touche plus.

Il s’en ira peu de temps après, assez prestement et sans rien me dire, alors que le direct continue sa course à toute allure. Il prendra tout à coup ses affaires en me surveillant du coin de l’œil, encore plus déboussolé qu’en arrivant, ses longs cheveux lui donnant l’apparence d’un animal traqué. Le pauvre, qu’il aille se ressaisir au bar. Pour ma part, je transpire et je manque d’air. C’est alors que mon mirage se révèle et vient brouiller ma fréquence. Non seulement la musique s’est arrêtée net, en plein chorus, mais le vent qui s’engouffre a pris sa place, rendant hallucinée la symphonie psychédélique que je m’étais inventée sans le savoir. L’air de rien.