Feuilles

Parti pour courir dans la forêt, je m’allonge sans raison sur un banc, après quelques centaines de mètres déjà. Sous la frondaison, le soleil guigne à travers les branches. Un vent de juillet caniculaire souffle et vivifie en les dépaysant, les arbres reconnaissants. Le bruit et la senteur de cette chaude haleine donne comme un relief hyperréaliste à la valse des feuilles. Quelques bris d’azur ensorceleur se découpent dans le toit émeraude. Le vert enchanteur et le bleu ne s’épousent-ils pas, eux aussi, pour qu’une âme flamboie ?

Mon attention est attirée par un petit groupe de jeunes feuilles, près de la fourche d’une branche juste au-dessus de moi, qui virevoltent en offrant leur face joufflue puis leur dos duveté au souffle bienfaisant. Elles tourbillonnent gaiement, et semblent se trémousser de plaisir. Je les observe captivé, et oublie tout à coup de nommer en mon for les images qui se déroulent. Cette nature forestière devient bord de mer et cimes enneigées tout à la fois, elle devient contemplation exaltée et sereine immobilité. Une harmonie majeure se mue en un mode à chaque instant renouvelé et la sève coule de mes yeux, tant l’impact qui s’opère sur moi semble transcender et réjouir l’homme tourmenté que je croyais être.

L’évidence de la réalité ne peut qu’exister hors de tout concept, dégagée de tout carcan mental. Elle se manifeste sous mes yeux, mais si je crois voir des branchages agités par le vent, alors elle se détourne en riant. La correspondance entre les danses sylvestres, le chant du zéphyr et les jeux d’ombres du soleil, est son essence même. Tout fait néanmoins écho à la louange primordiale, qui transparaît alors partout comme en filigrane. Une équation parfaite que seule sait fidèlement traduire la nature. Une mélopée enfouie au fond de chacun d’entre nous et qui, parfois, se révèle en vibrant au détour de l’imprévu.