Le huitième ciel

L’ascenseur part de la cave pour le deuxième étage, mais ne s’y arrête pas. J’ai certainement appuyé sur le mauvais bouton. Le troisième étage arrive. Il ne s’y arrête pas non plus. Il n’y a pas de quatrième étage et le levier d’urgence STOP ne fonctionne pas. Vais-je heurter le plafond de la cage ? La lumière s’éteint. Je continue à monter sans ralentir. J’ai 12 ans et tous les étages fictifs sont maintenant révolus. Un choc, de la poussière, ça y est, j’ai crevé le toit de l’immeuble. Des paysages inconnus défilent sous mes yeux ahuris. Je ne les regarde pas vraiment, j’ai trop d’appréhension et je n’en ai plus le temps, un clin d’œil à peine et le panorama est autre.

À travers l’étroite vitre de verre dépoli, je devine des silhouettes qui dansent et qui flottent devant moi… des sorcières, ce sont d’affreuses et vieilles sorcières verdâtres. Elles grincent des dents et grimacent tout contre la vitre. Je me suis reculé au fond de la cabine. J’espère qu’elles ne peuvent rien casser. Emprisonné comme je le suis, la cage de l’ascenseur m’en protège néanmoins. L’ascension vertigineuse ne s’arrête pas. On a quitté le monde et nous filons dans un ciel bleu nuit, dans lequel je distingue encore quelques nuages. Les sorcières sont toujours là, qui fusent avec moi, laides à vomir mais qui semblent juste vouloir me terroriser sans fin. En dessus et devant moi, les étoiles scintillent.

J’ai perdu tout espoir de retrouver la vie normale, la vie d’avant. Je me souviens du sous-sol que j’ai quitté. De la cave où je jouais avec Sacha. Des yeux dans l’obscurité. De cette multitude d’yeux qui ne clignaient pas, me scrutant. Durs, implacables. De mon épouvante devant tous ces yeux brillants dans la nuit étouffante. Pour les fuir, j’ai pris l’ascenseur et j’ai appuyé au 2ème pour arriver chez moi, chez mes parents. La porte s’est refermée et j’ai commencé à monter. Ça ne s’est plus jamais arrêté.