L’araignée

J’ai trouvé deux araignées. L’espoir était déjà mort hier au soir.
Quant au chagrin de ce matin, je l’ai remise dans le jardin.

La rue était déserte, le milieu de la nuit était achevé, et nous marchions juste devant l’entreprise de décoration où je travaillais la journée. Au moment de passer sous la fenêtre de la comptabilité, je fis un saut en arrière sous les yeux ahuris de mon ami. Une énorme araignée était tombée du premier étage et filait directement vers moi. Et quand je dis énorme, je n’exagère pas, cette horreur devait bien faire un mètre de diamètre avec les pattes.
C’était le comptable ! Je ne sais quand ni comment il s’était transformé, ni pourquoi il s’en prenait à moi. Peut-être était-il en fait profondément mauvais, et c’était alors sa vraie nature que j’affrontais maintenant. Mon ami me voyant m’enfuir épouvanté, fuyait aussi, mais n’avait manifestement pas la même vision que moi puisqu’il hurlait tout en décampant :
-Mais bon Dieu, qu’est-ce qu’il y a, qu’est-ce que tu as vu ? les yeux emplis de la peur panique que je lui avais communiqué.
-Tais-toi ! Cours, cours, ne t’arrête pas, même si tu ne vois rien. Cours !

Nous avons couru tout le long de l’avenue pour lui échapper. J’entendais distinctement sur le trottoir les huit pattes qui piquaient le sol derrière nous. La bestiole se trémoussait, comme tricotant notre perte à toute allure, et je pouvais même, tant elle était proche, distinguer l’éclat des réverbères sur son dos luisant, avant qu’elle n’abandonne subitement et sans raison la partie.

Le comptable, avec ses longues pattes, pouvait bien faire d’habiles magouilles, ce n’étaient pas mes affaires. Mais quand je le croisai, le jour suivant et en prenant soin d’éviter son regard, je suis bien sûr d’avoir vu dans ses cheveux foncés, quelques morceaux de toile qu’on aurait pu prendre pour des cheveux blancs.