L’étranglement

Au bout de la rue, à cause des travaux, il y avait une sorte de goulet étroit entre deux palissades où l’on ne pouvait guère se croiser. C’est là que j’ai été agressé. J’y ai été brutalement saisi à la gorge, par derrière, et l’on a serré, serré, serré.
J’ai commencé par essayer de me défendre bien sûr, mais très vite la douleur et l’étouffement m’ont rendu incapable de faire le moindre mouvement pour me dégager. J’ai tenté de hurler à l’aide sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. Il me tenait avec une force phénoménale et je m’attendais presque à entendre de l’intérieur les os de ma nuque se briser. Je n’ai pas eu le temps d’avoir vraiment peur, tant la panique me submergeait. J’ai supplié de toutes mes forces, je crois, que quelqu’un arrivât pour me sauver. J’ai aussi pensé très fort aux condamnés à mort, et je crois même m’être demandé par le truchement de quel engrenage barbare, l’Histoire n’avait-elle pas réussi à bannir à jamais cette peine atroce et si inhumaine. J’ai encore ressenti une profonde culpabilité, à sentir la mort m’être ainsi infligée par la haine, froidement et si anonymement.

L’étreinte s’est desserrée bien après que ce ne fut trop tard pour m’en réjouir ou pour appeler au secours. L’assassin m’avait juste pris ce qui devait être mon portefeuille. Je me suis alors dit que ça faisait un drôle d’effet, que de se voir allongé sur le sol, désarticulé comme un pantin. Je remarquai que ma langue était bleue, je la voyais parce qu’elle pendait entre mes lèvres devenues si pâles. C’était juste avant que toute la scène ne revête à mes yeux une importance bien moindre.
J’apprends maintenant, avec mes nouveaux amis, pourquoi et comment la violence se répand dans nos vies d’hommes. Pourquoi et comment le seul moyen de s’en défaire est de l’appréhender sans aucune crainte. Quitte à en mourir.