La chasse est ouverte

Le plombier est venu sonner à la porte et, bien poliment, nous a demandé à ma femme et à moi, de ne pas utiliser les toilettes ni les lavabos durant une demi-heure, le temps qu’il se place sous le conduit d’évacuation, à la cave, et qu’il fasse le contrôle de la tuyauterie. Avec son visage tout en rondeur, son embonpoint et ses lunettes si épaisses qu’elles lui déforment le regard, il ressemble à un clown lunaire, mais cela dit sans lui manquer de respect. Je le recroiserai d’ailleurs, quelques mois plus tard, avec son jeune fils en parfait père aimant et attentionné.
Pour l’instant, il est seulement l’ouvrier simple et sérieux qui ne fait qu’un avec sa fonction, celui qui incarne le métier avec une perfection pittoresque. Il insiste donc un peu lourdement pour que nous laissions un mot sur la porte des W.C, afin de nous en souvenir. Les gens, dit-il, ont la mémoire courte pour ce qui ne les passionne guère, foi de plombier. Nous lui assurons avoir bien entendu sa mise en garde, ce n’est pas si sorcier que diable, et il redescend pesamment les trois étages sans ascenseur travailler à ses canalisations obscures.

Dix minutes plus tard, vacant dans le corridor, j’entendrai hurler ma femme, de concert avec la fanfare de la chasse d’eau, et la verrai se ruer hors des cabinets, complètement paniquée, en se tenant la bouche pour ne plus rire et crier tout à la fois, et venir se cacher derrière moi. Presque au même instant, un autre cri, de rage et de désespoir celui-ci, grimpera du tréfonds de l’immeuble et se rapprochera en montant quatre à quatre les escaliers, me laissant juste le temps de réaliser ce qu’il s’est passé.

J’ouvre la porte d’entrée au moment où le plombier arrive sur le palier, les cheveux ruisselants, les verres de ses lunettes tout embués et la salopette trempée jusqu’aux pieds. Quasi simultanément, et encore tremblant, l’un accusateur et l’autre tentant de se justifier, je les entends, ma femme et lui, échanger :
-Je vous avais pourtant dit…
-c’était qu’un tout petit pipi...

Une bonne bouteille et des excuses à rallonge viendront clore la mésaventure, sans qu’il ne la minimise pourtant. Il est vrai qu’il a dû en imaginer des choses, sur le contenu de la cascade dévalant les étages, avant d’être un tant soit peut rassuré.