Laine de verre et vieille peau

Laver la belle Italienne, contrôler ses niveaux et lui faire le plein. Cabrée, millésimée, rouge et rutilante, sa carrosserie de rêve aurait pu être mon baptême du feu pour ce job estival. Céder aux avances d’une riche friponne, cambrée, mercedisée et plus antique encore, ce serait en nocturne et sans prolongation non plus.

L’enveloppe de chair était encore ferme et ne manquait certes pas d’allure, mais elle ne contiendra hélas pas l’âme élégante et stylée qui seule m’aurait consolé de mes déboires du jour. Auparavant, je lui avais bien joué une fugue de ma composition, mais comme elle n’y entendait rien, il m’a fallu lui faire le coup de la panne pour clore le récital. Je n’aurai ainsi jamais connu que les affres de l’emploi dans ce garage 5 étoiles et je n’emporterai malgré moi que les prémisses du serviceman.

Je me lance à son assaut, une éponge à la main. À grands jets d’eau savonneuse, je nettoie sa peau métallique. Je frotte partout, dessus et dessous, m’introduis dans les interstices les plus divers, je découvre ses jantes fuselées et compte et recompte ses si(x) jolis cylindres. Même les bielles sont belles, c’est dire. Je m’acharne pour finir sur les optiques et m’aveugle d’une si belle mécanique. C’est mon premier client et je veux que sa merveille puisse briller de tous ses feux. Alors, et pour faire bonne mesure, je ramasse un chiffon de laine de verre qui traîne par là et repasse partout…
J’écorcherai à deux reprises sa coupe parfaite, lustrant de mon gant de crin sa croupe relevée. À ma décharge, j’avoue volontiers n’y rien connaître en besognes élémentaires. Les préliminaires seuls et l’espérance d’une course folle motivant mon labeur, je regrette et j’admets ma complète absence de persévérance en matière de savoir-faire.

Le chef me dit de la mettre sécher au soleil car le richard revient déjà. Et le soleil vient vite faire de grandes trouées sur la carrosserie mouillée, laissant apparaître l’étendue du désastre. Dans un cauchemar double, ses longs ongles manucurés dans mon dos et des visions de bolides rugissants me faisant face sur l’autoroute, je verrai toute la nuit les images du malheur sur la peinture. Entièrement griffée de grandes arabesques, signées de mon même zèle appuyé d’incapable sincère, accablant et désormais inconsolable.

Le chef a été très chouette, j’ai perdu mon boulot, soit, mais il m’a sauvé la mise devant le client, bien sûr afin de préserver le prestige de l’entreprise et l’image de la marque, mais après tout je le méritais. Reste que si j’avais su, j’aurais pris la vieille peau pour bichonner l’une, et un papier d’émeri pour astiquer l’autre…