Le dingue, ma femme et moi.

-« Madame, bonjour Madame, c’est à moi madame, voulez-vous bien faire le total de mes courses, elles s’arrêtent ici n’est-ce pas, attention Madame, je suis un honnête homme Madame, afin que je puisse vous payer ? » dit-il en déposant sur le tapis roulant de la caisse six litres de lait et une bonne douzaine de yaourts, alors que je m’apprête moi-même à y disposer nos propres courses bien après la séparation qu’il a placée si précautionneusement.

-« Madame, Madame, donnez-moi tout d’abord, vite, vite, avant de commencer, avant que ce ne soit trop tard, un sac en papier, un sac en papier solide, non, pas n’importe lequel, le plus solide. »

La caissière, sachant apparemment à qui elle a affaire, lui tend un sac.

Je suis pris d’un élan de sympathie, et presque d’irréelle jalousie devant ce déballage verbal, pour cet égoïsme abouti et total.

Mais quelque chose me tracasse. Est-ce que je peux être certain qu’il ne pleure pas, parfois en rentrant chez lui, en ayant une fugace conscience de cette destinée banale qu’il ne connaîtra sans doute jamais, celle de venir avec sa femme au supermarché, et d’assister avec délice et perplexité, aux courses d’un vrai dingue ?