Les autres

Une nuée nauséabonde. Je crois que c’est ainsi que je ressens la foule de prime abord. Agoraphobie galopante, où est le cheval fou ? La nuée qui s’étend devant moi dissimule, je ne le sais que trop, un archipel inhospitalier d’individus menaçants. Un archipel qui s’avance, parsemé de remous vaseux, d’élans vulgaires, d’aigue noire et de courants traîtres. La foule que j’exècre n’est qu’un amas de nombrils en chaleurs, se trémoussant et obéissant si docilement au nombre, que je peine à y discerner des êtres véritablement distincts. Un archipel grotesque qui semble vouloir me faire perdre de vue l’étoile seule qui saura m’aider à tenir le cap.

Oui mais toi, toi tu es mon île ; une île qui s’offre à mon regard scrutant le point d’abordage idéal. Mon île qui présente comme une offrande l’anse apaisée où je viens de jeter mon ancre. Je m’échoue sur ta plage, encore empli du souvenir de la pleine mer, quand je rêvais tant de pénétrer ta jungle, quand je rêvais de me retrouver entre tes côtes, là où je me réfugie maintenant.

Je suis le marin exténué qui revient au port, après de longs mois solitaires. Tu m’es si étrangère, avec ta chevelure longue et ta toison salée, que même l’arôme que tu répands m’est un parfum inconnu. Il paraît que nous partageons la même nature, mais la tienne me semble aussi vierge qu’une forêt inextricable. Ne suis-je donc qu’une droite sans atours, pour contraster avec tes courbes de si totale manière ? Ou suis-je de même faconde à ton regard ?

Tu es l’Autre et tu es le seul objet de mon amour, mais tu me rends philanthrope quand je n’ouvre plus les yeux, parce que sinon je ne peux aimer que toi. Tu es l’inconnue qui porte la promesse divine, l’île déserte que je découvre, dont j’épouse le sable et à laquelle je donne mon nom, l’île que j’explore et que je féconde par la grâce de la rencontre et de la communion.

Les autres ne sont que l’explosion en une myriade de facettes morbides, de reflets incontrôlables, de ce que je crois être quand je suis loin de toi.